Source : Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB)
Alors que la Commission de la santé et des services sociaux reprend l’analyse du projet de loi 103 Loi visant principalement à réglementer les sites de consommation supervisée afin de favoriser une cohabitation harmonieuse avec la communauté, quatre organisations nationales réitèrent la nécessité de rejeter ce projet de loi. Dans le cadre d’un point de presse virtuel, la Coalition solidarité santé, la Ligue des droits et libertés, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) et la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) ont mis en lumière l’ampleur des problèmes causés par le syndrome « pas dans ma cour », promu par le projet de loi 103, en compagnie de responsables de groupes actuellement visés, ainsi que par d’autres qui craignent d’être les suivants. Des groupes variés ont livré des témoignages illustrant la gravité des conséquences qu’aurait l’adoption du projet de loi, tant en regard des limites à l’autonomie des groupes communautaires, qu’à la santé et à la sécurité des personnes qui les fréquentent, y travaillent ou y contribuent bénévolement.
Le projet de loi 103 entend imposer des règles aux organismes qui soutiennent les personnes fréquentant les sites de consommation supervisée et les personnes en situation d’itinérance, notamment en décidant du lieu où ils s’implantent, règles qui pourraient ensuite s’appliquer à l’ensemble des groupes communautaires.
Les organisations présentes au point de presse estiment que le projet de loi 103 brime les droits et libertés des personnes fréquentant les sites de consommation supervisée et celles en situation d’itinérance, mais aussi qu’il constitue un grave précédent. En effet, ce projet de loi pourrait être suivi par d’autres projets de loi ou de règlements similaires s’appliquant à d’autres types de groupes, ou même à la totalité des organismes du mouvement de l’action communautaire autonome.
Une lettre détaillant les problèmes découlant du projet de loi 103 a par ailleurs été transmise aux membres de la Commission de la santé et des services sociaux, leur demandant d’empêcher son adoption en raison des nombreuses attaques aux droits de la personne qu’il comporte à l’égard des groupes actuellement visés, autant qu’en raison du précédent que cela pourrait créer.
Contrairement à ce qu’il annonce, le projet de loi 103 ne favorisera pas une “cohabitation harmonieuse avec la communauté”. En retirant aux communautés la possibilité de se doter des ressources qu’elles souhaitent, là où elles les souhaitent, le gouvernement entrave la liberté d’association des groupes communautaires en plus de nuire aux droits à la santé, à la sûreté et au secours des personnes concernées.
Le syndrome « pas dans ma cour »
Le gouvernement porte une responsabilité sociale et doit contribuer à la santé et au bien-être de toute la population. Il se doit de contrer le syndrome « pas dans ma cour » et non de l’encourager, car en déplaçant ce qui dérange, il contribue à la montée de l’intolérance en pénalisant les personnes qui en sont victimes.
Le choix de l’endroit où un organisme communautaire s’installe relève uniquement de ses membres, et ce, en fonction des besoins de sa communauté. Si le projet de loi 103 était adopté, le gouvernement empêcherait des ressources de s’implanter à moins de 150 mètres d’une école, d’un centre de la petite enfance ou d’une garderie, occasionnant leur éloignement des lieux où elles sont nécessaires, soit les lieux fréquentés par les populations directement concernées.
Il est en effet à craindre que le gouvernement applique ensuite la même médecine à d’autres groupes, et même selon des règles encore plus strictes, car aucun n’est à l’abri des conséquences de l’application du syndrome « pas dans ma cour ». Le gouvernement doit autant respecter et protéger l’autonomie et la liberté d’association, d’un centre de consommation supervisée, d’un refuge pour personnes itinérantes, d’une maison des jeunes, d’un organisme militant pour le droit au logement ou pour la préservation de l’environnement ou d’un groupe soutenant des personnes marginalisées que de tout autre organisation moins susceptible de déranger la quiétude du voisinage.
Les quatre organisations déplorent que le gouvernement n’ait pas profité du renouvellement de la session parlementaire pour cesser l’étude du projet de loi 103, ainsi qu’elles l’ont demandé le 25 septembre dernier. Rappelant qu’il a été largement critiqué durant la consultation de la Commission de la santé et des services sociaux en juin dernier, elles demandent aux parlementaires de rejeter le projet de loi 103.
Citations
« L’emplacement des groupes et leurs missions sont des décisions qui relèvent des membres et de leur connaissance des besoins des populations soutenues. L’autonomie des groupes est incompatible avec l’instauration d’un pouvoir arbitraire du ministre ou du voisinage. Le projet de loi 103 entrave la liberté d’association des membres par le non-respect de leurs décisions collectives et démocratiques, contrevenant à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. Qui plus est, ce projet de loi alimente une vision selon laquelle les personnes consommatrices de substances ou en situation d’itinérance auraient moins de droits que les autres; une vision erronée et dangereuse. Plutôt que de les éloigner, il conviendrait de consulter les personnes concernées dans la recherche des solutions menant au respect du droit à la santé et à la sécurité de toutes les personnes », déclare Alexandre Petitclerc, président de la Ligue des droits et libertés.
« Les organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux (OCASSS) sont les premiers visés par le projet de loi 103 et par les dérives qu’il entraînera, mais nous intervenons aujourd’hui autant pour les protéger que pour empêcher qu’il s’élargisse un jour à tout le mouvement de l’ACA. Forcer l’éloignement de groupes des populations qui les fréquentent nuira à leur accessibilité, mais aussi au sentiment de sécurité des gens qui s’y rendent, y travaillent et même y contribuent bénévolement. Vouloir cacher des réalités sociales du regard des enfants, et de leurs parents, équivaut non seulement à exclure des membres de la société des espaces communs, mais aussi à exclure ces mêmes enfants et parents de la société», ajoute Mercédez Roberge, coordonnatrice de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles.
« En contradiction avec la Politique gouvernementale de l’action communautaire, adoptée en 2001, le projet de loi 103 s’inscrit dans une tendance lourde de ce gouvernement à vouloir s’ingérer, museler ou déraciner des organismes communautaires créés pour et par les communautés. Son adoption créerait un grave précédent et mettrait en péril non seulement l’autonomie, les pratiques et la démocratie interne des groupes visés, mais à terme, celles de tout le mouvement de l’ACA. Quels groupes seront ensuite repoussés loin des lieux de vie des communautés auxquels ils s’adressent? Qui devra être caché du regard des autres? Qui dérangera la prochaine fois?», questionne Claudia Fiore-Leduc, chargée de campagnes du Réseau québécois de l’action communautaire autonome.
«En plus de représenter une grave menace pour les groupes visés, l’adoption du projet de loi 103 créerait un précédent qui, aussi simplement que par règlement, pourrait menacer d’autres types d’organismes perçus comme dérangeant pour certaines personnes. Les groupes communautaires exercent leur besogne dans la communauté. Ils sont essentiels et doivent pouvoir continuer à répondre aux besoins de la population là où elle se trouve. C’est une question d’accessibilité des ressources et du respect de l’autonomie des organismes communautaires. Ils font un travail de prévention capital et devraient être encouragés, plutôt que limités», soulève Geneviève Lamarche, coordonnatrice de la Coalition solidarité santé.
« C’est évident que les réalités de l’itinérance sont difficiles à regarder et que les services de consommation supervisée se font vite remarquer dans un quartier. Mais les éloigner du regard ne les fait pas disparaître, ni l’unes ni l’autre. Leurs locaux ne sont pas choisis au hasard, mais en fonction des besoins des personnes concernées et des pratiques des groupes. Le projet de loi 103 éloignera d’importants outils de santé publique des personnes à soutenir. Il donnera au gouvernement le droit de défaire des décisions prises démocratiquement, en décidant pour nous et sans nous », soulève Denis LaRue-Fréchette, directeur général de Travail de rue de l’Île de Laval.
« Notre mission est de soutenir des personnes vivant avec différents enjeux de santé mentale dont le comportement peut parfois surprendre ou être inhabituels. Les personnes qui fréquentent des groupes comme le nôtre peuvent parfois s’exprimer de manière particulière, leur présence dans le quartier ne passe pas toujours inaperçue. Or, elles ont les mêmes droits que tout le monde et ne doivent surtout pas être punies d’avoir trouvé de l’aide. Où s’arrêtera le gouvernement dans son désir de déplacer loin des yeux des enfants tout ce qui dérange la normalité? Après le projet de loi 103 quel autre type de mur voudra-t-il installer entre nous et les enfants du quartier?», s’interroge Kathleen Messier, directrice générale du Centre de soir Denise-Massé (Montréal).
« La solidarité envers les personnes itinérantes et les personnes utilisatrices de drogues est essentielle dans la conjoncture. En plus des drames humains qui se jouent, tout organisme de défense collective des droits devrait se poser la question : serons-nous les prochains visés par une loi du même type que le projet de loi 103 parce que nos missions dérangent la quiétude du voisinage ? Le projet de loi 103 vient créer un précédent pour tout organisme qui risque de déranger par ses manifestations ou ses dénonciations publiques, ce qui est notre cas puisqu’on défend le droit au logement », conclut Marie-Ève Duchesne, coordonnatrice du Comité populaire St-Jean-Baptiste (Québec).
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